P. Genequand u.a.: Énigmes mathématiques au temps de Charlemagne

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Titel
Énigmes mathématiques au temps de Charlemagne. À propos des propositiones pour aiguiser l’esprit des jeunes


Autor(en)
Genequand, Philippe; Gavin, Jérôme
Erschienen
Lausanne 2021: Hauswedell Verlag
Anzahl Seiten
221 S.
von
Roche Martin

Un historien du Moyen Âge, Philippe Genequand, et un mathématicien féru d’histoire du calcul, Jérôme Gavin, se sont unis pour nous offrir cette étude des propositiones ad acuendos juvenes, une collection de cinquante-trois énigmes à résoudre remontant à l’époque carolingienne et dont M. Folkerts a établi l’édition critique en 1978. L’ouvrage ici analysé est ambitieux: tout en s’adressant de toute évidence à un public élargi, il propose des analyses très fines de son objet et prend en compte l’historiographie la plus récente. En ce qui concerne le premier aspect, signalons tout d’abord que les auteurs nous offrent la première traduction française intégrale publiée de ces propositiones (elle occupe tout de même dix-neuf pages de l’ouvrage). D’autre part, avec un évident souci pédagogique, ils s’adressent directement à leurs lecteurs et lectrices, leur lancent les questions qui vont être abordées et ne se privent pas de recourir à un ton familier, que d’aucuns pourraient moins goûter mais qui vise sans nul doute à rassurer face à des domaines peut-être étrangers (histoire médiévale, mathématiques). Et comme le font les enseignants quand leurs élèves ont de la peine à les suivre, ils ménagent des temps de pause ou de brefs excursus dans leurs développements et résument brièvement chaque chapitre avant d’ouvrir le suivant.

La prise en considération d’un lectorat de non-spécialistes se manifeste, sur un autre plan, dans l’explication des méthodes de la recherche scientifique, qu’elle soit historienne ou philologique; c’est par exemple le rôle de l’éditeur d’un document ancien qui est ainsi clairement expliqué. Le livre pourra donc se révéler utile aussi comme lecture dans le cadre de l’enseignement (secondaire II et supérieur).

La volonté pédagogique manifestée par les auteurs s’accorde d’ailleurs avec celle de ces curieux «problèmes pour aiguiser l’esprit des jeunes gens», très certainement élaborés à partir d’une pratique scolaire et en vue de l’éducation de jeunes. Ph. Genequand et J. Gavin notent ainsi que les problèmes sont exposés dans un latin simple et correct, qu’ils visent à stimuler l’imaginaire et la curiosité et qu’ils sont toujours suivis de la solution. D’un point de vue plus général, ils constituent un témoignage éloquent de la politique culturelle poursuivie par les Carolingiens, dont la cour d’Aix-la-Chapelle fut un foyer et un moteur.

La société du temps se laisse apercevoir dans un certain nombre des propositiones (je songe par exemple à la question des degrés de parenté admissibles dans le mariage). Mais les auteurs ne se limitent pas à noter ce fait: ils cherchent à comprendre, et à comprendre dans le contexte du haut Moyen Âge occidental, l’origine, le contenu et les fonctions des propositiones en multipliant les angles d’analyse. L’identification de la région de composition dans «la zone frontière entre France et Allemagne actuelles» permet de renforcer l’attribution de la rédaction à Alcuin (attribution qui, notons-le, n’est vraiment justifiée qu’au chapitre 5). Le contenu soulève la question de la connaissance et de la place que les mathématiques avaient à l’époque carolingienne, et de quel genre de savoir elles représentaient: héritage des savoirs théoriques et spéculatifs antiques, ou connaissances à visées pratiques? La réponse avancée par les auteurs au terme de leurs analyses est encore différente, et nous ne la dévoilerons pas ici. Toujours en lien avec le contenu, les auteurs proposent une solution ingénieuse au problème du classement des propositiones – qui doit se faire, nous rappellent-ils, en adoptant le point de vue médiéval et non celui des modernes (cf. p. 19–24).

Au long de leur exposé, Ph. Genequand et J. Gavin mettent en évidence la circulation des hommes, des objets, des savoirs, de la civilisation arabe à l’Occident, sans taire l’apport fondamental de l’Inde au progrès des connaissances mathématiques. Évitant de tomber dans le piège d’une logique «des influences», ils expliquent par une tournure d’esprit apparemment universelle, celle du jeu, les ressemblances entre certaines énigmes du document carolingien avec celles que l’on peut trouver en Orient, et même en Extrême-Orient. La notion de «jeu» fait d’ailleurs l’objet d’observations importantes qui en mettent en évidence le caractère tout à fait sérieux pour des élites médiévales en compétition plus ou moins permanente.

Ces développements, loin de nous écarter du sujet, nous ramènent toujours au document carolingien et aux questions qu’il soulève. Car c’est bien de la société carolingienne qu’il s’agit: de la cour et des écoles, des élites et des monastères, etc. Ici encore, avec un sens pédagogique certain, les auteurs ne se perdent pas dans des digressions érudites inutiles pour leur propos, mais ils s’appuient néanmoins sur des acquis profondément renouvelés de la recherche historique pour finalement mettre en lumière le caractère fondateur (plus que «renaissant») du «moment carolingien». Au final, sous une veste accessible, c’est une véritable histoire culturelle de l’Occident du haut Moyen Âge que nous offre l’enquête de Ph. Genequand et J. Gavin. Ce faisant, ils contribuent par ailleurs à répondre au regret exprimé il y a vingt-cinq ans par David Ganz au sujet de nos connaissances des savoirs à l’époque carolingienne: «Too little work has been done on the study of mathematics and natural science.»1

1 David Ganz, Conclusion, in: Richard E. Sullivan (dir.), «The Gentle Voice of Teachers». Aspects of Learning in the Carolingian Age, Columbus OH 1995, p. 270.

Zitierweise:
Roche, Martin: Rezension zu: Genequand, Philippe; Gavin, Jérôme: Énigmes mathématiques au temps de Charlemagne. À propos des propositiones pour aiguiser l’esprit des jeunes, Lausanne 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 72 (2), 2022, S. 274-275. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00108>.

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